Voici le 3ème et dernier volet de notre mini-série de témoignages dédiée aux conséquences du covid-19 sur les pratiques professionnelles et les apprentissages dans les institutions du non-marchand.
Après l’acte 1 axé sur la gestion de l’organisation et un acte 2 un peu plus théorique sur les opportunités d’apprentissages, l’acte 3 est consacré à la parole des travailleur·euse·s. Certain·e·s d’entre eux·elles ont préféré garder l’anonymat. A tous et toutes nous leur disons merci pour leurs partages.
Marie, animatrice socio-culturelle au Centre Librex
Comme dans beaucoup d’asbl d’éducation permanente, les activités ont été interdites une semaine avant le début du confinement. Alors comme un peu partout, c’est le télétravail qui est de rigueur depuis le 18 mars et toutes les activités en présentiel ont été annulées ou reportées.
Comme ailleurs aussi, cette crise du Covid-19 pousse notre équipe à penser des actions virtuelles pour certaines de nos animations. Mais pas à n‘importe quel prix, pas n’importe comment ! Rester fidèle au cœur de mission de l’asbl anime nos réflexions d’équipe et guide les choix à poser.
La technologie actuelle offre de nombreuses options mais les questions éthiques ne doivent pas pour autant passer à la trappe ! Ainsi pour nous, il est important de ne pas succomber à l’engouement de masse autour de certaines plateformes de vidéo-conférence (en vogue depuis le début du confinement). Elles sont performantes certes, mais elles violent aussi le respect des droits en matière de respect de la vie privée. Cela justifie amplement le fait de ne pas les utiliser et d’attendre que d’autres logiciels libres, moins performants peut-être (quoique), améliorent leurs outils pour travailler de manière éthique.
Une autre balise au cœur de la philosophie de notre asbl vient s’ajouter dans la prise de décision autour des nouvelles activités virtuelles proposées. Cette « technologie » permet de rassembler potentiellement un très grand nombre de personnes, chacune derrière leur ordinateur, mais dans l’opérationnalisation des rencontres virtuelles nous avons la volonté de maintenir le débat, l’interactivité entre les paticipant·e·s, la possibilité de réseautage. Pas question donc de se séparer de l’idée de « travailler » la matière avec le public.
Il y a de nombreux apprentissages à retirer de cette opportunité de travail virtuel. Et, c’est donc guidés par ces positionnements forts et réfléchis que nous avons décidé de nous lancer dans l’organisation de Midis du Librex (sans doute renommés autrement) et des Cercles de parole Prodas par vidéo-conférence. Avec la volonté de repenser les cadres et les contenus par l’expérimentation, dans un laboratoire restreint.
Je ne me fais pas beaucoup d’illusions, les activités socio-culturelles ont été parmi les premières à être arrêtées et seront sans doute aussi parmi les dernières à être autorisées à reprendre. La date de sortie du confinement reste inconnue. D’ici là, cette période inédite nous a poussé·e·s à devenir philosophe en repensant ses propres représentations de la « productivité » ou en expérimentant des formes de « flexibilité-horaire ». En un mot, il faut apprendre à « accepter de vivre dans l’incertitude ».
Yousra, psychologue à l'asbl Tabane
Après plusieurs semaines de confinement, il apparait qu'il y a une augmentation de demandes de soutien psychologique chez nos patient·e·s. De toute évidence, les conditions de vie actuelle génèrent un climat anxiogène et exacerbent les symptômes des personnes fragilisées.
En ce qui concerne nos adaptations dans les activités, nous avons tenté de trouver le réseau de communication le plus efficace et adapté pour nos patient·e·s et nous, dans le respect de la confidentialité. Après plusieurs essais, nous avons opté pour les applications WhatsApp et Zoom : WhatsApp nous permet de réaliser des téléconsultations avec interprètes tandis que Zoom nous permet de continuer nos réunions d'équipe à distance et de maintenir une cohésion d'équipe.
Nous avons aussi été amené à faire de nouvelles choses et à développer de nouvelles compétences : un webinaire sur la téléconsultation mis en place par le CRESAM nous a permis de suivre une formation dans l'urgence.Cela nous a permis d' en apprendre plus sur les modalités générales et sur le cadre de la consultation en ligne.
Enfin, certaines difficultés ont été rencontrées dans ce nouveau cadre de travail : le télétravail présente des avantages mais aussi ses limites.
- Les téléconsultations ne permettent pas d'utiliser du matériel clinique (dessin,génogramme, protocole EMDR, langage non verbal difficilement accessible).
- Le télétravail implique un aménagement chez soi qui est nouveau : pièce isolée qui permette la confidentialité, réseau internet, matériel ordi, smartphone. Il est question d'installer chez soi un "bureau" isolé dans un confinement familial.
Céline, directrice de l'asbl Bras dessus bras dessous
Depuis le confinement, nos activités de quartier qui visent à réduire le sentiment de solitude des aîné·e·s à domicile se trouvent complètement chamboulées. Même si au début du confinement l’option de la suppression des services a été envisagée, on a fait le choix de maintenir le réseau d’entre-aide intergénérationnel de quartier tout en s’adaptant. Car durant cette période, notre public a d’autant plus besoin de présence mais celle-ci doit paradoxalement être réduite au maximum pour éviter les risques de propagation du virus.
Alors, il n’y a plus de rencontre en duo chez l’habitant·e, ni de rencontres collectives mais on a lancé un pool téléphonique, on distribue deux fois par semaine des tote bag qui contiennent un bocal de soupe, un dessert ou des œufs en chocolat ainsi que des petits mots sympas ou des dessins d’enfants. Même avec une distance physique de 2 mètres, gantés et masqués, ce petit quart d’heure de papote sur le pas de la porte représente pour beaucoup de personnes seules l’unique contact social de la semaine.
Constat révélateur de ce besoin de rompre l’isolement : l’explosion de la demande. On est passé de 50 contacts avant le confinement à 170 lors du dernier tour de quartier. Heureusement basé sur la solidarité de voisinage, le projet peut compter sur beaucoup de bénévoles et d’autres initiatives citoyennes locales. Il y a même parmi les plus valides des « voisiné·e·s » en temps normal (les personnes isolées) certain·e· qui nous disent vouloir devenir à leur tour « voisineur·euse·s » (volontaire de quartier impliqué·e dans le réseau de solidarité) après toute cette histoire.
Du coup, en terme d’organisation, c’est devenu difficile que tout le monde fasse un peu de tout. On valorise donc les spécialisations des un·e·s et des autres en privilégiant les zones de confort et les compétences de chacun·e.
Ces mesures de distanciation sociale nous ont finalement permis d’entrer en contact avec des personnes très isolées, que nous n’aurions peut-être jamais rencontrées en temps normal. Après ? Les aîné·e·s seront probablement confiné·e·s plus longtemps que les autres. Un certain nombre retournera dans sa vie d’avant ; pour d’autres il se sera créé quelques-chose qui se maintiendra par la suite.
Lola, animatrice dans une asbl d’éducation permanente d’environ 10 travailleur·euse·s
Le jour où le confinement a été décrété, chacun·e a envoyé un e-mail à la coordinatrice, avec ce qu’il·elle comptait faire et ce qui était suspendu pendant le confinement. Celle-ci a ensuite validé et rajouté des tâches à chacun·e, en fonction de ses compétences, de ses activités habituelles et du planning à long terme. Ainsi, c’est par exemple l’occasion de déjà avancer dans la rédaction de rapports qui sont attendus seulement en juin.
Depuis ce jour-là, nous n’avons plus de réunions de coordination, mais on garde contact via un groupe Whatsapp sur lequel on échange des nouvelles relatives au secteur et à la situation politique. On peut également se poser des questions mutuellement et continuer une réflexion collective. Pour l’instant, l’équipe n’est pas encore en train de réfléchir à l’après ; on est encore dans l’adaptation et dans la gestion de annulations.
Alex, chargé de mission et de formation au Monde selon les femmes
Chez nous le télétravail est obligatoire. La coordination a suivi les guidelines du gouvernement à partir du mardi 17 mars. On continue à travailler comme on peut ; la situation de chacun.e est prise en compte. Pour certain·e·s qui ont des enfants, ils·elles peuvent travailler à mi-temps sans que leur salaire ne soit affecté.
Au niveau des activités de l'organisation, toutes les formations que nous donnons ont été annulées. On réfléchit à comment faire des formations en ligne ou les remplacer par des webinaires, mais ce n’est pas encore au point. Du coup, on en profite pour faire du travail de fond: rapportage aux bailleurs, écriture d'appels à projets, publications, etc. Un des points importants est le travail de la communication: diffuser un maximum sur l'organisation dans les réseaux mais aussi sur la situation des femmes dans le monde sous confinement. On continue aussi à se réunir grâce à des plateformes virtuelles (réunion d'équipe/départements). Lors de nos dernières réunions, on a discuté de "l'après" et comment on va restructurer l'agenda d'activités tout en maintenant une charge de travail supportable pour les membres de l'équipe. L'objectif est de revenir "à la normalité" de manière douce.
Anaïs, collaboratrice dans une institution du secteur socio-culturel de plus de 50 travailleur·euse·s
Au sein de l’institution, tou·te·s les travailleur·euse·s ont été appelé·e·s sur base volontaire pour aider le service qui est directement en lien avec les bénéficiaires et qui doit gérer, de façon urgente, un plus grand nombre de demandes que d’habitude.
Comme nos procédures sont assez complexes, les volontaires ont reçu une formation de 50 minutes expliquant le procédé à suivre à la lettre, sur base d’un power point. On nous a indiqué dans quels cas il fallait immédiatement transférer un dossier à un·e collègue plus expérimenté·e pour ne pas faire d’erreur si tout ne se passait pas comme dans le schéma initial.
Evidemment, ce n’était pas si simple car nos « collègues-formateur·rice·s », face à cette situation inédite, n’avaient pas identifié toutes les éventualités et des nouvelles indications sont venues s’ajouter jour après jour.
Cette solidarité entre les services a notamment été rendue possible par l’arrêt d’autres activités, dû à la crise.
Lucile, assistante sociale dans une maison d’accueil pour femmes victimes de violences conjugales
Aucune décision officielle n’a été prise pour les maisons d’accueil à part le fait qu’elles doivent rester ouvertes ; mais les maisons d’hébergement ont décidé ensemble de ne plus accueillir de nouvelles bénéficiaires car ce serait trop dangereux pour elles et pour les professionnelles.
Dans mon asbl, on est toutes partiellement en télétravail. Je vais une fois semaine au travail, moi le mardi et l’autre assistante sociale le jeudi. En gros, on tourne toutes (assistantes sociales, éducatrices, puéricultrices) en effectif réduit.
Pour communiquer entre nous, on le fait souvent par mail. Avec les résidentes, je peux téléphoner à la maison d’accueil et leur parler directement ; elles peuvent également me contacter par téléphone. Si je dois réaliser des démarches avec des administrations, je fais tout par mail et ils répondent assez vite!
Du coup, on profite de ce moment pour remettre tous les dossiers en ordre.